A—
On va vous raconter aujourd’hui une tragédie grecque, l’histoire d’un roi qui se prenait pour dieu et qui avait imaginé son royaume aussi vaste que sa propre grandeur.
Léopold II roi des belges, né en 1835.
Il est le cousin de la Reine Victoria d’Angleterre, et le petit-fils du roi de France, Louis-Philippe 1er.
Mais alors comment un régent possédant une lignée aussi prestigieuse, aussi parfaite, pouvait rester enclavé dans ce petit territoire d’à peine 30 000 km2 ?

Insensé ! Impensable !
Il entreprend alors, à la fin des années 1870, le projet fou de s’attacher les services de l’explorateur britannique Henry Morton Stanley, et lui demande de trouver en Afrique, un territoire assez grand qui ferait de lui un Roi parmi les Rois.
Stanley est déjà bien habitué de l’Afrique, et en la traversant d’Est en Ouest, il trouve un large territoire sur ce qui était auparavant le royaume du Kongo.
En moins de 5 ans, Léopold transforme le Congo en des terres privées, et crée l’Association Internationale pour l'Exploration et la Civilisation de l'Afrique Centrale, avec ce que l’on nommera ironiquement des ambitions « humanitaires et évangéliques ».

Les Chambres législatives belges, par une résolution adoptée à la Chambre des représentants, le 28 avril 1885, et au Sénat le 30 avril, autorisent Léopold II à devenir chef d'un autre État : « Sa Majesté Léopold II, Roi des Belges, est autorisé à être le chef de l'État fondé en Afrique par l'Association internationale du Congo. L'union entre la Belgique et le nouvel État sera exclusivement personnelle. »
« Personnelle » signifie que, c’est un territoire privé, appartenant exclusivement au roi Léopold II. Jamais ses ministres ni son gouvernement ne seront consultés dans la gestion du Congo.

1 – Kila Mwako – Isaya Mwinamo & Tom Miti

B—

L’avènement de l’automobile demande de plus de caoutchouc, et ça tombe bien puisque le Congo est le premier producteur au monde.
L’armée, et les missionnaires belges s’occupent pour le compte du roi, de tisser un important réseau d’exploration et d’exploitation.
Les ressources sont tellement abondantes, que le roi est obligé d’ouvrir ses frontières aux entreprises étrangères en ponctionnant une partie de leur bénéfice. Le Congo devient ainsi le plus grand camp de travail forcé jamais conçu : 2 millions de Km2 pour 20 millions d’habitants.
Les profits augmentent au même rythme du nombre de morts

Durant 25 ans, l’armée belge, pour le compte de leur roi, torture ou commandite des exactions d’une atrocité rare.
On brûle, on tue, on torture, on tranche de têtes, des mains, des pieds.
Si les villageois ne réussissent pas à fournir suffisamment de nourriture, on flagelle les corps à la chicotte, un fouet dur et puissant fait de peau de rhinocéros qui peut découper un homme en morceau.
On verse de la résine de copal brûlante sur les visages des fautifs.
On coupe les mains droites des hommes, des femmes et des enfants qui ne fournissent pas assez de caoutchouc.
On enferme les femmes des récoltants, que l’on ne libère que si les hommes rejoignent les quotas fixés.

Dans certains districts on éradique 70-80-90% de la population comme ça.
Les missionnaires et les touristes qui sont confrontés à ces atrocités s’élèvent pour exiger que le Roi Léopold soit condamné à la pendaison.

2 – Mam’alobi Na Bala Yo - Bowane

C—
Mais les gains de Léopold II lui servent à s’acheter des soutiens un peu partout dans le monde, et au lieu de la pendaison, on réinvente Léopold II en grand humaniste et civilisateur.

On estime avec prudence, que de son vivant, le monarque retirera personnellement du Congo une fortune évaluée à 220 millions de francs de l’époque, l’équivalent de plus de 6 milliards de francs français, soit un peu moins d’un milliard d’euros.

En 1908, les pressions étrangères qui sont faites, sur l’affaire des mains coupées, et le compte rendu de la Commission d'enquête sur les exactions commises dans l'État indépendant du Congo, contraint Léopold II à laisser l’état belge annexer l’État « indépendant » du Congo, comme il l’aimait l’appeler.
« Indépendant » étant ici employé comme synonyme de libre, où l’on peut y faire ce que l’on veut n’est-ce pas.

Joseph Conrad, célèbre écrivain du XXème siècle, écrira lors de son voyage à travers les terres du Congo :
« Ils attrapaient tout ce qu’ils pouvaient afin de ne pas en perdre une miette. C’était un pillage avec violence, un meurtre aggravé à grande échelle propre à ceux qui s’attaquent aux ténèbres »

3 --- Niyekese – De Wayon

D—
Embrigadé de force pour cause d’indiscipline lors de sa scolarité chez les pères missionnaires, le petit Joseph-Désiré fait l’apprentissage, durant 7 ans, de la soumission et des humiliations, dans le corps de l’armée colonial belge.

Puis, à 20 ans, il devient journaliste pour le journal l’Avenir.
Il sera d’ailleurs l’un des seuls à témoigner des émeutes et manifestations anti-colonialistes, au Congo.
Dans les années 50, Patrice Lumumba, ce beau jeune homme intelligent de 30 ans, symbolisant le désir d’indépendance du Congo, et dont Mobutu est déjà le disciple, est arrêté par les autorités coloniales.
Un an plus tard, il est libéré et part à Bruxelles négocier l’indépendance avec le roi Baudouin, arrière-petit-fils de Leopold II.
Par le plus grand des hasard, Mobutu était Paris à cette époque, détaché pour le compte de son journal.
C’est en se rendant à Bruxelles qu’il rencontre Lumumba, qui se prend d’affection pour ce jeune journaliste et le place sous son aile, lui faisant prendre part aux discussions et aux débats organisés à l’occasion de cette table ronde.

Lorsque Lumumba sera premier ministre et créera le gouvernement, il nommera d’abord Mobutu secrétaire d’état, puis, ministre des armées.
Le premier soulèvement populaire scinde le clan.
Lumumba accuse l’ancienne puissance coloniale de fomenter des troubles. Mobutu, quant à lui, affirme sa fidélité aux puissances occidentales, et accuse Lumumba de sympathies communistes.
Nous sommes en pleine guerre froide, et les États-Unis ne voient pas le communisme d’un très bon œil.
On raconte que Washington préférait voir le premier ministre congolais disparaître du paysage politique coute que coute.
Les troupes du colonel Mobutu, encerclent la maison de Patrice Lumumba, et le place en résidence surveillée, puis l’incarcère avec ses compagnons.

4 --- Indépendance Cha Cha – Grand Kallé

E—
Lors de leur transfert dans la province du Katanga, Lumumba et ses confrères seront victimes de terribles sévices.
Les journaux raconteront que l’ex-premier ministre a été tué par des villageois, mais la vérité, que l’on connaît maintenant, est plus perverse.
Patrice Lumumba, succombe à de multiples blessures, on ordonne à un officier de police belge de découper, et détruire le corps de Lumumba, en le plongeant dans l’acide sulfurique. Il ne doit rester aucune trace.

Une fois le premier ministre assassiné, le chef d’état-major Mobutu contraint le président de la république congolaise, Joseph Kasa-Vobu, lui aussi, comme Lumumba, artificier de l’indépendance congolaise, de partager le pouvoir.

Les partisans de Lumumba se rebellent et prennent le contrôle des deux tiers du pays. Mais Mobutu aidé par les belges et les Etats-Unis triomphe des rebelles.
Il est nommé aux plus hautes fonctions de la hiérarchie militaire et rêve désormais de la fonction suprême.
Il destituera le président et le nouveau premier ministre, qu’il condamnera à la peine capitale.
Le 31 mai 1966, à Kinshasa, dans l’enceinte du Stade Kamanyola, un monde fou, ameuté par la propagande officielle. Ils se bousculent pour venir voir le spectacle macabre de la pendaison publique de ses 4 anciens ministres condamnés pour complot contre les institutions.
Jamais pareil évènement n’était arrivé en public dans l’histoire du pays.

5 --- Vive Patrice Lumumba – African Jazz
Muhammad Ali's Rumble in The Jungle Speech https://www.youtube.com/watch?v=lkmJ6aKNQDQ
F—
C’était Mohamed Ali quelques semaines avant le célèbre combat « rumble in the jungle » face à George Foreman. Combat qui a eu lieu à Kinshasa en 1975
« Un cadeau du président Mobutu au peuple zaïrois, et un honneur pour l’homme noir » y’avait-il écrit sur les affiches de promotion.
Le combat est organisé par Don King, et il est rendu possible par l'offre de cinq millions de dollars faite au champion et au challenger par Mobutu qui souhaite ainsi faire la promotion de son pays.

Ironie, 5 ans après l’assassinat de Lumumba, Mobutu réhabilite son image en le hissant à la place de héros national, martyr de la nation congolaise, mort pour la libération.
Pur cynisme politique, il désirait sans doute montrer que lui aussi était l’un des grands libérateurs du Congo, l’homme qui avait réalisé l’indépendance.

L’adhésion au parti unique est obligatoire pour tous les citoyens. « Les ancêtres et même les fœtus » dit le slogan.
Pour frapper l’imaginaire du peuple congolais, il rebaptise la monnaie, le pays et le fleuve. La monnaie devient zaïre, le pays devient Zaïre, et le fleuve devient Zaïre.
Les prénoms occidentaux ou chrétiens sont banni, et Mobutu donne l’exemple en s’appelant désormais « Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu wa Za Banga » , autrement dit « Mobutu le guerrier, qui va de victoire en victoire sans que personne puisse l’arrêter »

A partir de ce moment, la propagande se met définitivement en place. Mobutu est partout, on le chante, on le prit, on le loue, il est élevé au rang de dieu : Mobutu ici, Mobutu là-bas, Mobutu partout. Il sera le prophète des africains

Peu à peu, se met en place un concept, un mouvement politique, que plus tard en 1971, Mobutu nommera la « Zaïrianisation ».
Revenir à une authenticité africaine des toponymes et des patronymes, en supprimant tout ce qui est à consonance occidentale.

6 --- Kongo Nsi Eto – Mavula Baudouin

G—
Rendre au zaïrois ce qui appartient aux zaïrois.
Les étrangers qui font commerce de produit zaïrois sont déboutés.
« Je concevais mal, qu’un étranger belge, français ou hongrois vienne s’installer ici pour revendre au zaïrois la bière qui sort des brasseries de Kinshasa et gagner de l’argent là-dessus, vivre là-dessus.
Ce n’est pas un mal propre à la république du Zaïre ou aux seuls zaïrois, c’est un mal qu’on trouve partout dans n’importe quel pays au monde, même chez vous. Qui nous a appris la corruption ? Je crois que c’est vous-autres. Ce n’est pas une nouvelle invention du Zaïre » dit Mobutu.

Lorsque des opposant zaïrois en exil attaquent le sud du pays, la France lui vient en aide militairement et parachute la légion étrangère.

Lorsqu’il organise une soirée jet-society international. Sont présent à l’évènement l’état-major du président français, le président du patronat au zaire, des ex-ministres belges, des députés américains, un ex-premier ministre français (Raymond Barre), le fils du président Mitterand etc…

Mais malgré l’excitation du pouvoir, malgré la fortune et la puissance, parfois la mélancolie le gagne.
Les soirées, et les fêtes dérapent de plus en plus, rien n’est trop beau, ni trop riche.
La générosité de Mobutu éclabousse ceux qui lui sont autour, les chefs de province, sa famille, et quelque politiciens étrangers aussi, qui venaient lui dire « vous savez nous allons entrer en période électorale, si nous gagnons, nous allons beaucoup vous aider… »

7 – Longwa Pt.2 – Orchestre Super Mazembe

H—
Mais les zaïrois se lassent de danser et de chanter à longueur de journée.
Le proverbe dit : « ventre affamé n’a pas d’oreilles ».
Les bouches parlent et dénoncent le MPR Mouvement Pour la Révolution, qui devient le Mouvement des Pourris de la République.
En 1969, c’est la révolte étudiante. Elle provoque une razzia de l’armée qui tire à bout portant sur la foule amassée à Kinshasa. Les survivants, sont condamnés à 12 de prison.
Mobutu ferme l’université et incorpore tous les étudiants dans l’armée, pour qu’ils apprennent à se taire, défiler, et ramper.
Lorsque l’église émet quelques réserves quant à la politique du parti unique, elle est courtoisement priée de rester à l’écart.

Les services de sécurité sont implacables. Toutes tentatives de coup d’état, de révolte, sans parler d’assassinat, est inévitablement contrées et très fortement punies. La plupart du temps par la peine de mort.

8 -- Mobutu V - Franco

I—
Georges Bush père, lors d’un voyage de Mobutu à la maison blanche, est dithyrambique à l’égard du père de la nation zaïroise.
« Un de nos amis les plus précieux » disait-il, dont « je suis fier et très très très heureux de le comptez parmi nous ».

Jacques Chirac, tout sourire, explique au micro de l’ORTF, toute la joie qu’il a eue à rencontrer Mobutu, et toute l’estime dont le président joui en France comme en Europe, le respect dont il est auréolé dans nos pays. « Et s’agissant de moi, disait-il, sachez que j’ai des sentiments très profond pour lui et très respectueux, mais qui sont les sentiments de l’affection. Si bien qu’un entretient avec le président Mobutu est toujours pour moi quelque chose d’extrêmement agréable et où j’apprends toujours beaucoup. »

Giscard : « Je suis un ami du Zaïre, j’ai eu l’occasion de le montrer. Et je suis un ami personnel du président fondateur que je connais très bien depuis longtemps, d’abord par amitié que j’ai vu il y a quelques semaines, et aussi parce que nous sommes des citoyens français mais nous sommes avant tout des citoyens du monde, et les problèmes actuels sont des problèmes mondiaux et il faut connaître les problèmes mondiaux sur place. »

Tous les gouvernements l’aiment. Le pouvoir belge avec en tête le roi Baudoin, tous les politiques successifs américains, français, les pays de l’Est…

En juillet 1989, lors d’une intervention à l’assemblée générale des nations unie, où il avait été invité, Mobutu est interrompu, en plein discours, par des dissident hurlant « Mobutu is a murderer » Mobutu est un assassin.

Ah !

9 – Afrique de l’Ouest – Docteur Nico & l’African Fiesta Sukisa

J—
L’assassinat de son grand ami Ceausescu, en 1989, quelques mois après l’incident qu’il a connu à l’ONU, marque un changement net dans le comportement de Mobutu. Il réalise que le peuple peut tout, y compris renverser un pouvoir et exécuter son dictateur, tout père de la nation qu’il est.
Il est prêt à écouter le peuple, à organiser un referendum, et à signer la fin de 30 ans de parti unique.

C’est ce qu’il fait, le 24 avril 1990 devant une salle bondée et acquise à sa cause, son discours est clair, il ouvre la politique au multi-partisme et à chaque citoyen la liberté d’adhérer au parti de son choix.
Lui, prendra congé du mouvement populaire de la révolution, mais restera quand-même le chef de l’état, au-dessus des partis politiques. Il sera l’arbitre.
Il ouvre un grand débat de société, mais les langues se délient, et des leaders d’opposition naissent.
« A bas le dictateur, à bas le voleur, à bas le pilleur… » entend-t-on dans les rues de Kinshasa.
Désormais le lions n’a plus de dents, ni de griffes, et tout le monde dans la rue a commencé à injurier et à démystifier Mobutu.
Les portraits du « roi léopard » sont déchirés et brûlés en public.
Ce grand débat prend des proportions inattendues.

10 – L’Âge de l’Amour – Tabu Ley Rochereau

K—
Blessé dans son orgueil, Mobutu suspend la conférence nationale, il ne lui pardonne pas de s’ériger en tribunal populaire contre son régime.
Lorsque le peuple se mobilise pour manifester pacifiquement, le pouvoir réprime par le sang et la mort.
Ses soutiens étrangers le lâchent peu à peu, en commençant par le roi belge.
Mobutu se réfugie alors dans son village natal, au beau milieu de la jungle, où il se fait construire un luxueux palais présidentiel.
Seul et acculé, il cherche le réconfort auprès des villageois de sa région.

Lorsque deux de ses fils meurent à deux ans d’intervalle, en 93 et en 95, soudain, s’estompe les fureurs de la conférence nationale, et réapparait la fibre affective bantou qui rappelle les alliances souterraines enracinées.

Mais une grande crise frappe le pays. L’armée n’est plus payée et se sert elle-même dans les commerces de la capitale.

Profitant d’une absence prolongée du chef à Genève pour soigner son cancer de la prostate, une rébellion naît à l’Est du Zaïre et déferle sur tout le pays.
La rébellion est dirigée par un ancien dissident, proche de Patrice Lumumba: un certain Laurent Désiré Kabila

Tous ceux qui ont fait de Mobutu un roi l’ont abandonné, ils ne veulent plus de lui. S’il revient à Kinshasa, il sera trainé dans les rues de la ville, son corps sera torturé.

Une dernière tentative a lieu en présence de Nelson Mandela, de Mobutu et de Kabila pour rétablir le pouvoir de l’ancien lion.
Kabila n’aura qu’un mot : « démission ».

Le lendemain matin, Mobutu est à l’aéroport, ses anciens généraux fuient de l’autre côté du fleuve Congo, ses derniers fidèles sont lynchés, un pneu en feu autour du corps

Le 8 septembre 1997 Mobutu meurt au Maroc, loin de la terre de ses ancêtres.
Le demi-dieu n’était pas immortel.
Après lui, viendra la dynastie des Kabila dont ils seront nombreux à être assassiné par des hommes en tenue militaire, des hommes de l’ombre. Des crimes qui ne seront jamais élucidés.

11—Beza Bakili Ma Nyon – Ondigui & Bota Tabansi International